Yves Ducerf part à la retraite, comment voit-il l’avenir ?
En cette année 2019, le passage de relais s’opère entre les 4e et 5e générations de dirigeants, avec notamment le départ à la retraite d’Yves Ducerf. Après 46 ans à piloter les investissements et la seconde transformation, il laisse un bel héritage et se veut confiant pour la suite. Rencontre et souvenirs…
Quel est votre sentiment au moment de passer la main à la direction du groupe Ducerf ?
Yves Ducerf : Je considère que la retraite n’est pas une fin en soi, ce n’est finalement qu’une étape de la vie active durant laquelle on peut encore avoir beaucoup de projets, mais avec moins de responsabilités ! Je passe donc à cette étape sereinement, en étant d’autant plus heureux de voir que la transmission se passe bien et que, derrière, il y a des ressources de matières et des professionnels de qualité pour prendre la relève. J’ai confiance pour la suite.
Peut-être sera-t-il difficile de couper le cordon ?
Yves Ducerf : Il est vrai que j’ai toujours évolué dans ce métier du bois. Etudiant, avec mes frères et mon cousin, nous passions nos vacances à la scierie à empiler du bois, en forêt à participer aux estimations de coupes ou aux cubages des grumes abattues, nous ne nous sommes jamais posé la question de ce que nous allions faire plus tard ! L’avenir était dans l’entreprise… Et puis c’était un métier tellement intéressant avec des missions variées, des responsabilités, des évolutions... Alors forcément il est un peu difficile de prendre de la distance, d’autant que géographiquement j’habite à proximité des sites du groupe et croise régulièrement des collaborateurs !
« Nous avons su sans cesse évoluer »
A l’époque, comment s’est passée votre arrivée au sein du groupe ?
Yves Ducerf : Je suis arrivé en 1972 après avoir fait l’école du bois de Mouchard et une formation tournée vers l’exploitation forestière, scierie-négoce. Depuis la création de l’entreprise en 1885, les choses avaient beaucoup évolué. La grande scierie de Vendenesse-lès-Charolles venait juste d’être mise en route (1969). C’était l’une des premières dans les bois feuillus à avoir été mécanisée. A 22 ans, j’ai passé ma 1ière année à la tête de cette scierie de Vendenesse. Frères et cousins y sont tous passés à tour de rôle, c’était le baptême du feu !
Votre génération a-t-elle été marquée par cette volonté de toujours améliorer les performances de l’Entreprise ?
Yves Ducerf : Chaque génération a œuvrée pour faire évoluer les choses, trouver les solutions adaptées. Par exemple, après la crise de 1929, les négociants Lyonnais ne venaient plus acheter nos sciages, c’est alors que mon grand-père, Claude-Marie Ducerf, a décidé de créer un négoce à Lyon pour se rapprocher des professionnels, artisans et industriels. Dans les années 60, Jean et Paul Ducerf, 3ème génération, se demandaient comment valoriser les petits morceaux de bois, ce que nous appelons « coursons ». Ils ont alors créé la société « Les Bois Profilés » et adopté les méthodes d’aboutage déjà utilisées en Scandinavie et en Allemagne pour proposer des carrelets chêne de grandes longueurs, profilés pour la fabrication de menuiseries. De même, lorsque l’industrie du meuble s’est effondrée, au début des années 80, nous avons encore dû trouver d’autres idées. C’est alors que notre génération a créé le « Patchwood » en ajoutant le panneautage à l’aboutage. Et puis dans les années 90, nous avons créé la société Delarbre afin d’être présents sur le marché des GSB. Notre histoire montre bien qu’il faut constamment s’adapter, trouver de nouveaux produits, nouveaux modes de distribution. Prenez l’exemple d’aujourd’hui, avec l’essor continu des nouvelles technologies qui permet de vendre plus rapidement avec le E-commerce !
« La curiosité pour l’innovation m’a conduit à mener des projets passionnant »
Et comment imaginez-vous l’avenir de ce secteur ?
Yves Ducerf : Je ne suis pas du tout inquiet pour l’avenir. Le bois est l’un des plus anciens matériaux modernes. En France, la forêt est gérée depuis fort longtemps. Au 17e siècle, Colbert avait déjà fait aménager les forêts de chêne, comme Tronçais, pour qu’elles produisent des pièces de charpente, destinées à la construction navale. Trois siècles plus tard, ces arbres sont utilisés différemment en foudre ou en fût pour le vin. Le secteur bois a donc toujours su entretenir ses marchés et en trouver de nouveaux. Aujourd’hui, ce matériau s’inscrit parfaitement dans la tendance puisqu’il est renouvelable et qu’il stocke du CO2. Mais il est aussi très recherché dans l’habitat, dans les agencements intérieurs et extérieurs, dans le vin, les produits de santé, la chimie ou même les parfums… ce qui démontre ses débouchés illimités ! Il est imité mais jamais égalé ! Ce matériau continue d'être une source d'innovation pour le groupe Ducerf !
Quels sont les meilleurs souvenirs de ces 46 ans que vous retenez ?
Yves Ducerf : Les meilleurs souvenirs sont souvent liés aux réussites économiques et aux investissements. Il faut rappeler que pour notre génération, les fonctions dans l’entreprise se sont toujours réparties selon les compétences et les goûts de chacun. Etant curieux de nature, j’ai toujours été attiré par les mécanisations, l’innovation et par les visites de salons professionnels. En « bricoleur » de la famille, j’ai participé à des projets passionnants comme, au début de ma carrière en 1975, la création de la scierie SOBIC à La Machine dans la Nièvre. Je me suis également occupé de la mécanisation de la scierie Brunel en Côte d’Or, au développement des Bois Profilés ou à la création des gammes « Patchwood » et de GSB.
Et plus récemment, j’ai oeuvré à l’implantation avec d’autres collègues de la filière d’une unité de traitement thermique du bois : Bois Durables de Bourgogne. Une somme de succès qui sont aujourd’hui de bons souvenirs !
« La nouvelle génération aura de nouvelles idées et un nouveau management »
Beaucoup de satisfactions donc…
Yves Ducerf : La plus importante satisfaction c’est de voir qu’après plus de 134 ans, l’entreprise Ducerf est toujours solidement implantée et que tout est mis en œuvre pour qu’elle poursuive son développement. Les membres de la 4e génération que je représente sont heureux de mettre en place la nouvelle équipe aujourd’hui composée du duo, Edouard et Jean-Marie. Il sera possible que cette équipe s’étoffe si d’autres membres de cette 5ème génération faisaient acte de candidature ! Il est également satisfaisant d’avoir des clients fidèles et donc satisfaits ! Comme je me plais à le rappeler à mes collaborateurs, les véritables PATRONS de nos entreprises, ce sont nos clients sans qui nous n’existerions pas. Les collaborateurs nous apportent satisfaction. Ce sont des personnes que l’on côtoie tout au long de notre vie professionnelle, avec qui des liens se tissent. J’ai toujours eu de bons rapports et de la reconnaissance envers eux.
Et la 5e génération qui arrive, comment la percevez-vous ?
Yves Ducerf : Je suis confiant. Comme nous à l’époque, ceux qui arrivent aujourd’hui, qu’ils portent le nom Ducerf ou qu’ils soient proches collaborateurs, sont plein d’enthousiasme, d’ambition, d’idées nouvelles. Ils ont été choisis pour leurs compétences. Ils ont des formations complémentaires et travaillent en équipe. Ce qui est important c’est qu’il y ait dans cette équipe beaucoup de créativité et de rigueur à la fois ! Ce sera au chef d’orchestre d’animer tout cela.
La retraite ? Instances professionnelles, sport… et bien sûr famille !
Quels sont vos projets pour cette retraite que l’on imagine active ?
Yves Ducerf : Au cours de ma carrière, j’ai beaucoup participé aux instances professionnelles. Je vais continuer encore quelques temps au sein de Fibois, l’organisation interprofessionnelle de la région Bourgogne-Franche-Comté. Je vais aussi faire un peu de sport, il serait temps ! Et puis j’ai 5 enfants et 4 petits-enfants à ce jour qui vont bien m’occuper. Avec mon épouse, nous profiterons aussi de ces nouveaux temps libres pour voyager. Comme vous pouvez le constater, l’esprit de famille reste une valeur fondamentale qui a toujours été très présente non seulement au sein du groupe durant ma carrière, mais aussi du côté privé. On aime se retrouver et c’est très agréable !
Quel est votre message au moment de refermer ce chapitre de votre vie ?
Yves Ducerf : J’ai eu la chance de faire un métier très intéressant, dans une bonne ambiance. Dès le début, nos parents (père et oncle) nous ont fait confiance. Et durant ces 46 ans, j’ai eu le plaisir de beaucoup voyager en Europe, également en Asie et aux Etats-Unis pour rencontrer des clients, participer à des salons et visiter des installations. Ici au sein du groupe, les rapports que nous avons établis avec les collaborateurs ont toujours été francs, loyaux et plein de reconnaissance. J’espère que cet esprit de famille qui règne demeurera encore longtemps. C’est certainement l’une des clés de la réussite !
Bien entendu, je n’oublierai pas mes partenaires de plus de 40 ans de collaboration :
Gilles, qui arpente toutes les forêts de France pour trouver les meilleures grumes de chêne au meilleur prix afin d’approvisionner les scieries du groupe.
Pierre, qui s’occupe toujours des approvisionnements de l’activité de 2ième transformation. Rares sont les scieries de feuillus en France n’ayant pas eu un jour sa visite, à la recherche de frises, d’avivés, de dépareillés chêne et autres essences feuillues.
Enfin Jacques, notre « Chef d’orchestre », nous avons souvent travaillé ensemble sur les dossiers de communication et marketing, nos premiers salons Paris-Bruxelles-Cologne… les créations de DELARBRE ou encore Bois Durables de Bourgogne…Il a toujours été un rassembleur, un catalyseur pour réunir les gens et faire aboutir les projets.
J’espère qu’il y aura encore d’autres chapitres !