Reportage avec l’équipe d’exploitation forestière Ducerf : le premier maillon de la chaîne !
Chaque année entre la toute fin de l’été et le début de l’automne a lieu l’une des ventes de bois les plus importantes de l’année à Beaune (21).C’est une vente plutôt prestigieuse organisée par l’ONF. Le chêne tenant une place de choix, le groupe Ducerf est un habitué des lieux. Et l’événement représente un temps fort pour l’équipe forestière, qui parcourt toute l’année des milliers de kilomètres de sentiers afin d’estimer les arbres. L’occasion de mettre en lumière un savoir-faire qui se transmet de génération en génération au sein de l’entreprise.
Depuis plus de 134 ans, c’est toujours un membre de la famille Ducerf qui est à la tête de l’équipe d’exploitation forestière. Ainsi Edouard Ducerf dirige aujourd’hui l’équipe des acheteurs : Philippe Ducroux, Grégory Marot, Sébastien Grisard et Arnaud Cognard. Il a récemment succédé à son père, Gilles Ducerf, et adhère complètement à cette filiation : « Il me semble toujours important que ce soit un Ducerf qui porte cette responsabilité et qui assure la stabilité dans le temps, car c’est une activité stratégique pour l’entreprise. » Pour comprendre l’envergure de l’activité, il faut regarder les chiffres : plus de 40 000 m3 de bois achetés chaque année et une zone d’estimation de près de 400 km s’étirant d’Orléans à Besançon. Grégory Marot sait qu’il est le premier maillon de la chaîne. « Notre but premier est de faire en sorte que l’outil de production du groupe, c’est-à-dire la scierie de Vendenesse-lès-Charolles, soit suffisamment approvisionné en quantité et en qualité pour qu’il ne s’arrête jamais. » Mais tout assurant la pérennité de la société. Philippe Ducroux, l’ainé de l’équipe : « ce sont des sommes conséquentes qui sont dépensées chaque année pour réaliser le stock, il nous faut donc être au plus juste dans nos estimations. Nous n’avons pas trop le droit à l’erreur… »
Une mission exigeante
Pour répondre à ces enjeux cruciaux pour l’ensemble du groupe, l’équipe doit toujours faire le choix de la qualité, du bois le plus adapté au type de production de la scierie. Il s’agit de sélectionner les billes au mieux pour les valoriser au maximum. Arnaud Cognard rappelle aussi qu’il s’agit d’un métier de patience. « L’âge d’exploitabilité du chêne, c’est environ 120 -150 ans. Mais parfois, nous estimons des arbres qui ont jusqu’à 250 ou 300 ans ! » La patience doit être aussi de mise dans le processus d’achat. Pour une vente au mois de septembre, selon Philippe Ducroux, le bois n’arrivera pas à la scierie avant le début d’année prochaine. « Il y a d’abord un mois de démarches administratives. Le chantier est ensuite lancé vers la mi-octobre. Et ce n’est qu’à Noël que tout aura été mis bord de route pour ensuite tout rapatrier à la scierie. » Et ces bois ne seront ensuite commercialisés par la scierie qu’entre 1 et 3 ans après. Edouard Ducerf reconnaît aussi que l’estimation est une mission parfois ingrate. « Nous ne sommes jamais sûrs d’obtenir un lot. En réalité, nous n’achetons que 20% des bois que nous estimons. » Autre paramètre mais non des moindres, engagés dans une démarche raisonnée, ils se plient à des plans de gestion mieux encadrés. C’est la condition d’une ressource pérennisée.
Des savoir-faire à préserver et à transmettre
Pour Edouard Ducerf, la mission repose avant tout sur l’expérience : « Au-delà du savoir-faire, c’est la connaissance de chaque massif forestier qui compte. On peut ainsi saisir les singularités qu’on ne verra pas de l’extérieur. Pour cette connaissance des secteurs, des parcelles, rien ne remplacera l’expérience. » Il est certain pour Philippe Ducroux qu’une formation dans une école forestière ne suffit pas à connaître les subtilités du métier. « C’est sur le terrain que ça s’apprend en arpentant les bois tous les jours. » Pour assurer la transmission de ces savoirs, la direction de l’entreprise veille au renouvellement des générations. « Il faut toujours un homme de confiance et d’expérience dans le service. Aujourd’hui, c’est Philippe Ducroux. Il a formé Grégory Marot qui a déjà 15 ans d’ancienneté. » Il s’agit aussi d’assurer la complémentarité des équipes. « Je souhaite développer la polyvalence avec les gens de la scierie. C’est le cas avec Arnaud Cognard qui nous accompagne régulièrement en forêt mais qui travaille en scierie ¾ de son temps. »
L’estimation, un cadre bucolique pour une expertise technique
En forêt, tout au long de l’année souvent exposée aux caprices de la météo ou aux difficultés du terrain, l’équipe est impressionnante d’efficacité et de complémentarité. Avec en fond sonores les cris des animaux et des oiseaux, et le bourdonnement des insectes, rien n’échappe à ces hommes qui analysent tous les pieds de la parcelle un par un. Ce savoir-faire, Philippe Ducroux a mis des années à l’acquérir. « Il y a toute une série d’éléments à vérifier. Quand nous arrivons devant un pied, la première chose est de prendre la circonférence. Ensuite, on fait le tour pour identifier les défauts. Puis il faut vérifier sa rectitude et repérer où se trouve la découpe. » Il est important de reconnaître un type de bois comme le merrain, destiné à la tonnellerie, qui n’ira pas à la scierie mais qui pourra être revendu aux merrandiers : « C’est une histoire d’écorce. Il faut que ce soit une écorce lisse avec des grains très fin. Mais c’est une fois que l’arbre est abattu qu’on peut confirmer notre estimation. » Si les détails à observer sont nombreux, chacun parvient à estimer très vite les arbres en se frayant un chemin dans la végétation et les ronces : « Il faut compter 2 minutes par pied. Pour les bois de qualité, il faut quand même faire le tour, ce qui n’est pas toujours facile ! »
Edouard Ducerf : « Après une période d’inflation, les prix se stabilisent enfin »
La majorité des ventes de bois s’étalent de septembre jusqu’à fin novembre. Les ventes de l’ONF, notamment, sont ouvertes à tous les demandeurs de bois intéressés par les lots proposés. En amont, ces lots font l’objet d’une estimation par l’équipe d’exploitation forestière de Ducerf et de leurs concurrents. Le jour de la vente, il s’agit de faire une offre globale pour chaque lot. Pour ce moment-clé, un membre de la famille Ducerf est toujours présent. Edouard Ducerf est un habitué de ces ventes publiques. « Les acheteurs se retrouvent dans une salle où tous les lots sont passés en revue. Il peut y avoir, comme en septembre à Beaune, jusqu’à 200 lots proposés. Pour chacun de ces lots, vous avez 15 secondes pour faire une offre à l’aide d’un boîtier électronique. Et c’est le meilleur qui l’emporte. » La demande détermine les prix. « Si beaucoup d’acheteurs ont besoin de bois, ils vont forcer les prix et faire monter les cours. Mais heureusement après une longue période d’inflation, les prix ont plutôt tendance à se stabiliser. Et la qualité est toujours au rendez-vous. »
Les particuliers, 1ère source d’approvisionnement
Pour Ducerf la question des sources d’approvisionnement est une question centrale. L’entreprise achète beaucoup sur des bois privés. L’achat aux particuliers, plus nombreux, permet de réguler les prix moyens des cours tout en proposant le prix le plus juste aux propriétaires. Les particuliers ne sont généralement pas de gros propriétaires puisqu’ils sont environ 2 millions à détenir moins d’1 hectare de forêt. Des annonces sont passées toute l’année mais c’est souvent le bouche-à-oreille qui fait naître la relation avec l’industriel. Avec les propriétaires privés, généralement moins avertis, il est nécessaire de jouer un rôle de gestion de la forêt. Philippe Ducroux : « Soit ils s’y connaissent et ont déjà marqué les arbres qu’ils veulent faire tomber, soit ils nous demandent ce qu’ils peuvent faire sur leur parcelle. Dans ce cas-là, nous les accompagnons dans la démarche car notre rôle est d’assurer la pérennité de ces parcelles. » Pour Edouard Ducerf, l’intérêt pour le particulier est le circuit court : « Avec le propriétaire, on s’affranchit d’un intermédiaire et chacun est gagnant. »
Les ventes de l’ONF, 20% des achats
De son côté, l’Office National des Forêts, qui s’occupe de la gestion des massifs, représente un peu moins d’un quart des achats du groupe. Lorsqu’elle décide de mettre des bois en vente sur une parcelle, c’est que la régénération des arbres y est assurée. Le gestionnaire a alors besoin que des marchands de bois comme Ducerf viennent estimer les parcelles et formulent une offre correspondant à cette estimation. Tous sont informés de ces ventes par la publication d’un cahier de vente. En fonction de la qualité des bois et des besoins du marché, le groupe tente de proposer une meilleure offre que celle de la concurrence. L’estimation des bois et l’anticipation du marché sont alors déterminantes pour proposer ensuite aux clients du groupe Ducerf un bois de qualité au meilleur prix.
Ducerf, un acteur rassurant les coopératives
Mais le paysage a tendance à évoluer. Ces dernières années, Edouard Ducerf constate que de nombreuses coopératives se sont regroupées. « On constate une concentration des coopératives en France. D’ici quelques années, il y en aura sans doute plus que quelques-unes. Aujourd’hui, sur notre secteur d’estimation, il n’y a que 2 ou 3 coopératives significatives. » Là encore, le groupe s’assure de se démarquer de la concurrence en étant un interlocuteur rassurant. « Nous sommes capables de proposer des solutions car nous nous efforçons de tout transformer dans le bois : des chutes partent pour le bois-énergie, des petits morceaux vers notre usine de deuxième transformation Les Bois Profilés où l’on reboute. Nous avons de multiples débouchés et faisons du plot chêne, ce qui est loin d’être le cas de tous les demandeurs. C’est un argument de poids. »
Les débouchés du secteur, l’élément clé de l’achat de bois
Cette capacité à estimer les bois dans la perspective des différents débouchés est bien le cœur d’un précieux savoir-faire. « Ce dont je suis le plus fier, c’est que depuis toujours les membres de l’équipe s’entraident, ont un respect profond pour la valeur du bois et se transmettent cette capacité à savoir ce que deviendra un arbre à la scierie : un plot, un dépareillé, une charpente, une traverse… », reconnaît Gilles Ducerf qui reste profondément attaché à cette activité. Un métier et une expertise plus que centenaire, où l’œil de l’homme fait toujours toute la différence en résistant à la logique du tout numérique. Une valeur inestimable pour le groupe Ducerf.